Conseil de Révision
TEXTE DE LOULOU MANDÈRE.
Pour vous parler d’un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître…
Le conseil de révision, tel que nous l’avons connu jusqu’au milieu des années soixante, je crois, fut institué en mille neuf cent cinq.
Voila un passage obligé vers la vie d’homme adulte quelque peu redouté par les jeunes de vingt ans qui y étaient soumis.
Avant cette date le recrutement se faisait par tirage au sort : celui qui tirait un bon numéro faisait un an de service militaire et celui qui tirait un mauvais numéro partait, lui, pour cinq ans. Il semble que ces durées ont fluctué au cours des années. Un riche qui avait tiré un mauvais numéro pouvait payer quelqu’un d’autre pour effectuer le service à sa place.
Je me souviens d’un terrain appelé «champ du cadet»: Ce cadet était parti à la place d’un propriétaire qui lui avait donné en paiement ce champ d’un hectare environ. Pas cher payé pour cinq ans de service et, peut-être, cinq ans de guerre.
Seuls peuvent parler d’un conseil de révision ceux qui l’ont vécu de l’intérieur car c’est une mascarade presque inénarrable.
Imaginez une grande salle de mairie.
Dans une salle attenante, une cinquantaine de jeunes hommes se déshabillent jusqu’à se retrouver entièrement nus. La parité n’était pas encore en vigueur et d’autres que moi le regrettaient sans doute. Non mais… et puis quoi encore ?
A poil ! et quand on est à poil, on se sent vraiment nu. Que faut-il faire de nos mains ? Je vous le demande.
Tout de suite après on passe dans la grande salle et là il y a du monde. Du grand et du beau monde et même, trop de monde.
Un médecin-major avec, me semble-il, une bordure rouge à son képi et des galons rouges également.
Quelques infirmiers militaires ou, tout au moins, des gens pour seconder le médecin.
Le conseiller général et tous les maires du canton. Ils sont assis derrière une grande table, alignés pour ne rien manquer du spectacle grotesque et indécent qui se déroule sous leurs yeux. Allez donc savoir quelles pensées traversent leurs cerveaux de notables réputés ô combien respectables. Je ne sais plus si les maires sont ceints de l’écharpe, attribut de leur fonction, de leur dignité et, peut-être aussi, de leur fierté. C’est qu’ils ont, eux aussi, leurs appréciations à donner sur la constitution du troupeau.
A propos de dignité, ils ne se fichent pas mal de la nôtre en nous obligeant à défiler devant eux dans le plus simple appareil. C’est l’expression consacrée mais je ne sais pas ce que l’appareil vient faire là dedans. Quoique… à propos d’appareil, c’est vrai que c’est réduit à sa plus simple expression.
Il y a aussi, bien sûr, les gendarmes.
Un cheminement est tracé.
Tout d’abord, la toise; les trop petits sont réformés, ils ne font pas la passe.
Après vient le poids. Ni trop légers ni trop lourds mais, pour l’instant, nous sommes simplement balourds.
Ensuite, c’est la visite pour la vue. Indispensable pour faire un bon tireur. J’ai failli écrire un bon tueur.
Contrôle de l’audition. Très important. Comment voulez-vous obéir à un ordre si vous ne l’entendez pas?
Puis, longueur des bras, des jambes, de l’entrejambe et tutti quanti…
Les pieds: les pieds plats sont inaptes à la marche.
Vient le moment de passer la visite devant le médecin-major. Tout y passe: le blanc des yeux, la dentition (il faut de bonnes dents pour affronter les lentilles aux cailloux au réfectoire), les réflexes jugés à la réaction au coup sur les genoux, la souplesse notée après quelques mouvements adéquats et, certainement, inventés par quelques pervers et, perfection des perfections, fin du fin, le major vous demande de tousser tout en vous soulevant des choses que la pudeur la plus élémentaire m’interdit de nommer ici. Il paraît qu’il y a relation entre le haut et le bas. Bon…pourquoi pas…
Et ainsi nous allons, de visite en visite, les bras ballants ou croisés sur la poitrine ou dans le dos, la tête haute et le regard droit; un regard trop bas, même furtif, pourrait être mal interprété.
Le ouf de soulagement ne vient que lorsqu’on vous déclare «bon pour le service». Certains préfèrent interpréter cela comme «bon pour les filles». Chacun sa guerre…
C’est quand même vrai qu’être réformé était ressenti comme un déshonneur. C’était très mal vu. On n’est pas comme les autres et on n’a pas droit à la citation «bon pour les filles»?
Libérés de cette affaire «grandguignolesque» il ne restait plus qu’à acheter des médailles et colifichets à un marchand ambulant au courant des lieux, dates et heures de chaque conseil de révision. Le plus prisé était, bien sûr, et j’y reviens encore, le fameux «bon pour les filles» mais hélas, de ce temps-là, elles n’étaient guère accessibles. Alors, tant pis, je ne sais plus si nous rêvions ou si nous fantasmions. Allez savoir…
La photo du groupe: cantonal d’abord puis par communes ensuite faisait aussi partie du rituel.
Avec toutes ces breloques, c’était le départ pour la ville où cette meute bruyante mais bon-enfant envahissait rues ou quartiers et surtout les bistrots. On est des hommes, non? Il faut dire que les gens étaient très indulgents avec ces fêtards de bon aloi. Sans doute pour le souvenir des vingt ans que beaucoup n’avaient plus.
Seules, quelques voix de femmes s’élevaient pour dire qu’elles trouvaient cela vulgaire et déplacé mais elles étaient pardonnables:
Elles n’ont jamais passé le conseil de révision, elles.
PS: Les conscrits, c’est-à-dire ceux qui avaient passé le conseil de révision dans l’année, avaient la charge d’organiser la fête patronale du village cette année-là. C’était, en quelque sorte, le comité des fêtes mais sans forme juridique.
Il paraît, mais nous n’en avons pas la preuve, que monsieur Pierre Perret a écrit sa fameuse chanson sur la…le…enfin, sur la chose en sortant de son conseil de révision.
En tout cas, sur ce site, le passage au conseil de révision est décrit avec humour mais justesse aussi,car cela se passait bien comme cela avec quelques variantes selon les communes chefs lieux de canton et la disposition des locaux.
et il n’y avait pas toujours 50 conscrits à poil en même temps.
Mais la nudité était bien la règle dans toutes les communes où se tenait un conseil de révision jusqu’en 1965.
Et la pudeur des conscrits n’était pas du tout prise en compte, car outre tous les examens décrits, il fallait parfois parader à poil devant les membres du conseil en partant de la position face au centre de la table pour aller à chacune des extrémités afin de permettre à chaque membre d’avoir une vue parfaite de l’anatomie du conscrit de face comme de dos.
Et il fallait lever la jambe droite puis la jambe gauche et ensuite les bras sur instruction du médecin militaire, puis se tourner offrant aux membres du conseil une vue imprenable sur ses fesses dénudées, se pencher pour toucher ses pieds pour l’examen de la colonne vertébrale, se redresser, relever ses pieds l’un après l’autre pour toucher ses fesses, et se pencher à nouveau et écarter les fesses pour permettre au médecin militaire de pratiquer un examen visuel de l’anus en espérant qu’il masquait la vue aux membres du conseil juste derrière, subir une palpation des fesses par le médecin qui voulait en évaluer la fermeté et finissait son examen en vous collant une bonne claque sonore sur une fesse puis revenir de face et se faire palper évidemment les testicules.
Sans parler des questions sur les études ,et les sports pratiqués auxquelles il fallait répondre à poil jambes le long du corps face au président de séance comme si cette situation était la plus naturelle au monde.
Cela se passait en 1963 et il fallait s’estimer heureux quand il n’y avait pas de femme maire d’une petite commune présente dans la salle avec les autres maires hommes du canton.
Et en cas d’ajournement ( 1 sur 8 conscrits environ), on revenait l’année suivante parader à nouveau à poil devant la même assistance.
Et oui je l’ai passé comme cela en 1961 .Peut être que cela c’est arrêté un an ou deux après car dans l’assistance il commençait à il y avoir des femmes maires . Je sais que cela se terminait après photos officielles et médailles bon pour les filles par une grande beuverie le tour des bistrots du chef lieu de canton pour arroser cela n’oublions pas que nous étions mineurs tout une autre époque !
merci pour ce témoignage intéressant
avez vous reçu mon message sur ce site
une question à Alain Carpentier sur son message sur ce site
est ce que quand il a lui -même passé le conseil de révision en 1961, il y avait pour sa séance des femmes maires parmi les membres du conseil devant lesquels se présentaient les conscrits ?
Si c’était le cas, qu’avait il ressenti à l’époque? est ce que c’était plus gênant ou pareil car on n’y faisait pas vraiment attention ?
il emploie le terme « assistance » pour qualifier la présence cde femmes maires, je ne crois pas que ce soit le bon terme si elles étaient membres du conseil et siégeant derrière la table officielle. Assistance cela voudrait dire dans la salle comme spectateurs.
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J’ai lu sur un forum deux récits où des internautes qui ont passé le conseil de révision au début des années 60 disent que la séance était publique et ouverte aux spectatrices ( mères, grand mères et tantes de conscrits) -pas aux spectateurs car comme c’était dans la matinée en semaine les pères de conscrits avaient tous du travail- qui pouvaient rentrer dans la salle et s’assoir sur des bancs au fond pendant l’examen des conscrits aussi longtemps qu’elle voulaient. Cela m’a surpris car d’après les instructions officielles du ministère de la défense, les séances du conseil de révision n’étaient plus ouvertes à la présence de public autre que les conscrits, les gendarmes assurant l’encadrement et les membres du conseil.
Je ne suis pas sûr que ces récits soient vrais.