Dans les Topinambours
TEXTE DE LOULOU MANDÈRE.
Savez-vous ce qu’était la Pologne en mille neuf cent quarante-trois?
La Pologne, de ce temps-là, était un pays où l’on déportait les enfants qui refusaient d’aller à l’école. Un pays où on leur faisait ramasser des glands à longueur de journée et par tous les temps, et Dieu sait s’il peut faire mauvais temps en Pologne, avec juste de la soupe comme nourriture et des coups de bâtons sur le crâne à chaque fois qu’ils levaient la tête.
Ca tombait très mal: je n’aimais ni la soupe ni ramasser des glands. Les coups de bâton sur la tête non plus d’ailleurs. C’est avec cette terrible menace de m‘envoyer là-bas et après en avoir sans doute expérimenté d’autres – que ma grand-mère tentait de me convaincre d’aller à l’école.
Elle parlait aussi, parfois, d’appeler les gendarmes ou bien d’en parler au facteur, monsieur Peyre, homme sévère aux grandes moustaches qui, disait-on, était ancien gendarme et qui, à ce titre et aussi à cause des moustaches impressionnantes, me faisait peur mais rien n’y faisait. Je campais sur mes positions en dépit de tous les risques encourus.
Dans la vie, il faut savoir ce que l’on veut, ou ce que l’on ne veut pas, c’est selon… et il faut savoir y mettre le prix quelles qu‘en soient les conséquences.
Ce matin-là, matin tout à fait ordinaire puisque immanquablement je continuais de refuser l‘école, j’étais au coin de la cour, près du portillon du jardin, au cas où… et ma grand-mère continuait de parlementer pour me convaincre quand le facteur vint à passer pour laisser le journal, le « Patriote ».
Ma grand-mère alla vers lui et, sans doute avec un signe complice, lui demanda: « Vous avez été gendarme, vous? Loulou ne veut pas aller à l’école, pouvez-vous faire quelque chose? » Je vois encore le terrifiant facteur poser son vélo contre le mur de clôture et s’élancer vers moi en criant, que dis-je? en vociférant: « Ah il ne veut pas aller à l’école? Eh bien en Pologne alors, en Pologne! »
Il s’élança à ma poursuite ou au moins fit-il semblant. Il avait des jambes longues mais de plus de cinquante ans et moi j’avais de jambes courtes mais de moins de dix ans. La différence fut vite faite et je le semai sans difficulté pour me réfugier dans un grand carré de topinambours à une cinquantaine de mètres de la maison.
Je m’installai donc, de la manière la moins inconfortable possible, dans cette forêt au contact rugueux des feuilles et des tiges qui pouvaient aller jusqu’à deux mètres de haut. Là, je me sentais à l’abri de toute capture. Durant un bon quart d’heure j’eus la paix, personne ne me cherchait mais ensuite on commença à s’inquiéter pour moi, ce qui ne faisait pas du tout mon affaire: « Loulou, Loulou, reviens, le facteur est reparti et on ne va pas te gronder. » Craignant une supercherie, je me gardais bien de répondre: « Mais où es-tu? Reviens. » Taratata, je n’avais pas confiance et continuais à rester tapis dans ma jungle. Les appels se firent plus pressants presque suppliants jusqu’à revêtir des accents angoissés.
Aucune réponse de ma part, je ne voulais pas aller en Pologne pays de tortionnaires. Le temps passait, plusieurs heures déjà, et toujours pas de Loulou. Les voisins, mis au courant de ma disparition, commencèrent, eux aussi, des recherches. Certaines personnes passaient parfois à quelques mètres seulement de moi. Je retenais mon souffle. Personne n’eut cependant l’idée de ratisser dans les topinambours et ce n’est que tard, vers la fin de l’après-midi, poussé par la faim, la soif et un peu aussi par l’angoisse de passer la nuit dehors que je sortis de ma cachette.
Je ne me souviens plus très bien de l’accueil que je reçus. Je sais que ma grand-mère pleura mais pas en ma présence. Il n’y eut pas de raclée, je m’en souviendrais, mais je pense que certaines envies durent être réfrénées ce jour-là.
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