Les Pesquits

TEXTE DE JEAN HOUNIEU.

À Siros, une Pâques sans Pesquits est comme un Noël sans sapin ou un anniversaire sans bougie. Mais au fait connaissez vous les Pesquits? Vous n’en avez sûrement pas rencontré beaucoup, ils ne sont pas insaisissables mais difficiles à attraper, en bon français se sont des alevins, de touts petits poissons qui viennent d’éclore. Ils vivent dans le Gave mais leurs parents ont choisi pour eux des coins bien particuliers où malgré la vitesse du courant, profitant d’un méandre, l’eau se repose dans une anse sur un fond envasé. Ils ne sont pas de race définie, en effet devenus grands ils seront barbeaux, cabos, aubours (qu’en français on appelle vandoise), et plus rarement truites. Leur seul point commun est leur taille de trois centimètres et, comme on ne s’intéresse à eux qu’à Pâques, ils sont encore au stade premier âge.

Pêche dans "les trous " du gave
Pêche dans « les trous  » du gave

Tout l’intérêt qu’on leur porte est d’ordre gastronomique, ils sont la vedette de l’omelette pascale. Pourquoi une omelette pascale? C’est tout simple, les règles religieuses imposaient avec une sévérité rigoureuse l’obligation durant le carême (les quarante jours qui précèdent Pâques) de ne pas consommer de viande sous toutes ses formes, y compris les graisses et aussi les œufs. Pourquoi les œufs? Sans doute à cause du dilemme: la poule était elle avant l’œuf ou l’œuf était il avant la poule? Dilemme ou pas le problème économique posé par cette question était résolu élégamment. Le Mardi Gras, veille du premier jour de carême tous les œufs pondus jusqu’à ce jour étaient utilisés pour la confection des beignets qui en sont de gros consommateurs. Ils étaient ramassés comme il se doit tous les jours suivants c’était la période de grande couvaison, mais à Pâques les paniers étaient quand même débordants et prêts à être allégés par l’omelette qui redevenait autorisée. Pour les puristes la fin du carême était signalée par le retour des cloches qui ne sonnaient plus les angélus depuis le jeudi précédent jour de leur départ pour Rome. Les moins puristes se justifiaient en faisant observer que le Christ était ressuscité à l’aube du troisième jour, donc que le carême était de ce fait terminé à l’aube du matin de Pâques et rien n’empêchait vers les neuf heures un solide déjeuner dont l’omelette était le plat principal. Une omelette qui se respecte doit être faite avec autre chose que des œufs et à Siros pour Pâques traditionnellement les pesquits étaient de la fête.

"Rapatout"
« Rapatout » dans les bras du Gave, Printemps 1962

La fête pour eux commençait la veille sur le coup de midi, le soleil est déjà « fort » et les pesquits viennent se réchauffer en surface sur les eaux calmes qu’ils habitent, s’il n’y a pas de vent, si l’onde est calme et claire les conditions sont remplies pour troubler leurs siestes. Bien que très jeunes ces minuscules poissons ont appris à se méfier de tout aussi faut il les attraper par surprise. Règle numéro 1: arriver par l’aval, l’ombre du pêcheur ne doit pas se porter sur l’eau. Règle numéro 2: silence absolu. Règle numéro 3: le rapatout doit être mis à l’eau et ouvert très rapidement. Un mot sur le rapatout : c’est un engin spécifique pour la pêche des pesquits, toujours de fabrication artisanale, les premiers rapatouts étaient faits avec des sacs vides de pommes de terre, non pas les patates de consommation (personne n’en achetait) mais les sacs de pommes de terre de semence qu’il fallait acheter tous les ans par cinquante kilos en sacs de jute à grosse maille. Pour beaucoup de Sirosiens, l’emballage avait plus de valeur que le contenu. La technique ayant fait des progrès les rapatouts actuels sont à l’ère du nylon. Un rapatout est cousu à gros points en forme d’entonnoir avec une ouverture d’environ deux mètres de large qui se termine par une chicane débouchant dans une poche de deux ou trois litres où s’enfile le menu fretin et se retrouve prisonnier. Deux manches sur les côtés permettent de tenir l’écartement de l’ouverture et de racler le fond de l’eau, pour plus d’efficacité les manches doivent être tenus par deux personnes. Le rapatout se monte au dernier moment car il serait inconvenant de se balader dans le village avec les deux manches de deux mètres de long sur l’épaule avec la toile roulée autour car on trouve à proximité les deux bouts de bois qui conviennent. Au retour la toile sera l’objet de soins attentifs, nettoyée et mise à sécher au grenier loin des regards.

Barbeaux, cabots, parfois une "mini" truite!
Barbeaux, cabots, parfois une « mini » truite!

Si quelques Sirosiens ignorent encore l’existence et l’utilisation des pesquits, les Gabelous eux le savent de longue date. Les Étrangers, c’est à dire les Ausseviellois et les Poyens connaissent le rituel de l’omelette de Pâques et, comme ils ne savent pas tenir leur langue, le bruit des œufs cassés est arrivé en haut lieu et pour sauver la Planète, rien de mieux qu’un Gabelou tout de vert vêtu envoyé en opération sur le terrain. Même à ce jour le risque de le rencontrer est permanent mais venir un samedi à midi en plein weekend élargi, traverser la Saligue pour chasser les Pesquités plutôt que les pesquits n’est pas facile quand on ne connaît pas les lieux comme sa poche. N’empêche que l’homme qui pêche a un œil sur l’eau et l’autre qui tourne à trois cent soixante degrés, car n’a t-on pas remarqué une année qu’un deuxième Gabelou était à l’affût sur la rive d’Arbus et renseignait au talkie-walkie son collègue qui patrouillait sur la rive droite. Il y a toujours au bord du Gave un carré d’orties qui camoufle très bien un rapatout roulé qui y est jeté précipitamment, alors que plus loin le vélo à été dissimulé dans un bouquet de bambous.

N’est il pas permis alors de déambuler au bord de l’eau avec une serpe à la ceinture, qui a servi à faire les manches, en sifflotant au nez et à la barbe d’un sauveur de la Nature? Il y avait une autre occasion de mettre à mal la quiétude des pesquits, c’était pour le bois du Curé. Le Curé comme tous les Sirosiens avait droit à un lot de bois dans la Saligue, le lot d’affouage attribué après tirage au sort à tous les foyers. Un curé est plus habitué à manier le goupillon que la hache, aussi faisait il appel à ses ouailles masculines pour faire son bois. Il y avait assez de personnel mobilisé pour abattre, scier en buches, faire les fagots et il y aurait eu le temps de tout transporter au presbytère. D’ordinaire devant tant de dévouement le Curé ne pouvait se dispenser d’offrir un repas. C’est son personnel occasionnel qui pour une fois prêchait en terrain conquis: il faisait admettre qu’il n’était pas possible de rentrer le bois le même jour et qu’on reviendrait pour faire la « tire » une autre fois. La, il tire du bois consistait pour les foyers qui n’avaient pas d’attelage de demander au voisinage leurs bras et leur « catabe » pour le ramener de la Saligue à leur bûcher. Un souper le soir remettait les comptes à zéro. Pour le Curé un aménagement d’horaire de certains bûcherons bénévoles permettait à deux ou trois d’entr’eux, sur le coup de midi d’aller attraper quelques assiettes de pesquits, de les porter chez Lacourrège et de commander une omelette de forte taille pour le soir. Le Curé n’était pas invité à ces agapes, ne disait on pas que lui et les siens ne mangeaient que des poulets? Après l’omelette il était toujours trop tôt pour rentrer à la maison et jusque fort tard dans la nuit les cartes et les quilles de neuf donnaient une idée de la félicité éternelle qui nous attend.

Et si nous parlions de la pesquite? Elle n’a rien à voir avec le pesquit, c’est tout simplement l’attribut masculin d’un jeune enfant. Après l’avoir découverte cachons là vite et pudiquement avant qu’elle ne devienne une vilaine anguille!