La Pêche Nocturne
TEXTE DE JEAN HOUNIEU.
Quelques Sirosiens gardent un très bon souvenir d’une fête d’Arbus où ils s’invitèrent tout à fait par hasard… un samedi soir du mois d’août ils étaient un groupe à avoir décidé une partie de pêche nocturne dans le Gave. En cette période de l’année, l’eau est au plus bas et d’une température très agréable. Pour réussir cette partie de pêche il faut impérativement une nuit sans lune (le calendrier y pourvoit), et un minimum de matériel. L’élément le plus important était la lampe, et la reine de toutes était la lampe à acétylène qui éclairait beaucoup mieux que les piles Wonder de célèbre mémoire.

Il était relativement facile de se procurer chez un quincailler une lampe. Elle était métallique, elle comportait deux compartiments, celui du bas où on mettait le carbure et celui du haut que l’on remplissait d’eau, un robinet à vis laissait passer goutte à goutte l’eau qui plombait sur le carbure et produisait un gaz qui enflammé donnait une lumière très blanche projetée en faisceau par une parabole. L’ensemble n’étant pas plus important qu’une boîte de petits pois.
L’approvisionnement en carbure se faisait chez l’un des forgerons de Poey. Ils se servaient du carbure pour chauffer des métaux avant de les souder . Ils savaient l’usage qui en serait fait à Siros. Aussi la transaction était facile: je te donne une poignée de carbure que je mets dans le magasin de la lampe, accompagné de ce commentaire: Tu en as pour attraper tous les poissons du Gave!! Mais demain tu me rapporteras une brassée de poissons… la dette était toujours acquittée car elle garantissait la prochaine transaction.
Il y a comme un parfum d’aventure, partir de nuit en vélo ou à pied pour ne pas faire de bruit, à scruter les ténèbres pour dépister les garde-pêches, toujours possibles, avec leurs lampes torche. Il y a quelques règles primordiales: on pêche dans de l’eau dont le niveau atteint à peine le genou, on remonte toujours le courant, et un silence absolu.
La lampe est au cœur du dispositif, à côté de part et d’autre du lampiste, les as de la fourchette, et derrière ce trio, les sans-grades condamnés à porter un sac avec les poissons capturés qui devient pesant et mouille sans fin le dos et la chemise. La « fourchette » est de fabrication locale. Au départ une planchette de deux centimètres d’épaisseur de huit centimètres de large et de quatre-vingt de long et six pointes de plancher de huit centimètres de longueur. Mise en œuvre: planter les pointes en bout sur les huit centimètres en bout de planchette sur deux centimètres. Étêter les pointes ainsi plantées, les limer pour les acérer. Émincer la planchette sur toute sa longueur pour en faire un manche et l’engin est prêt.

On entre dans le Gave et aussitôt on aperçoit les poissons. Ils se tiennent immobiles au fond de l’eau derrière un gros galet. Et c’est là qu’on s’aperçoit des imperfections de la langue française. On dit couramment heureux comme un poisson dans l’eau. Il n’en est rien. Un poisson flotte naturellement sans effort et naturellement le courant l’emporte. S’il ne veut pas se retrouver dans l’océan qui a goût de sel, il est condamné à lutter sans fin à contre courant. Mais il a trouvé une astuce; se planquer derrière un gros caillou qui le protège du courant.
Dans la nuit dort-il? Impossible de le savoir, il n’a pas de paupière, il reste immobile sous la lampe des braconniers et la fourchette en l’embrochant le plaque au fond et une main experte le met dans un sac. Certains poissons ont le sommeil plus ou moins léger, les barbeaux sont de grands dormeurs, on les attrape très facilement, on les croirait englués derrière leur caillou, ils sont une proie facile, mais ils ont un inconvénient, ils sont bardés d’arêtes. Non contents d’avoir des arêtes classiques de tout animal nageant ils ont des ramifications osseuses dans toute leur chair. Ils sont souvent de grosse taille et flattent l’ego des non initiés. C’est eux qui paient en priorité le carbure des forgerons.
Les pêcheurs préfèrent les cabos à la chair moins armée de défenses. Il arrive que quelques nobles pièces détalent devant la lampe, une ou autre truite, un brochet insomniaque et quelque fois une anguille en deux contorsions disparaît dans l’eau obscure. Donc ce samedi là nos lascars étaient partis à la pêche. La première mi-temps se déroula comme prévu, quelques pièces, on ne rentrerait pas bredouilles… quand tout à coup sur la rive gauche côté Arbus ils aperçurent une anguille qui fouettait l’eau violemment de la queue mais restait sur place. Énigme vite éclaircie!!! L’anguille était prise par un hameçon sur une « corde ». La pêche à l’anguille ante réglementation se pratique aussi la nuit.
On prend une corde noire de cinq ou six mètres de long on fixe à l’une des extrémités un bout de ferraille ou un caillou pour la plaquer au fond de l’eau, on attache un hameçon à l’extrémité d’un bout de ficelle de vingt centimètres l’autre bout est noué sur la longue corde ainsi cinq ou six hameçons garnissent la corde, l’ensemble est mis à l’eau, le bout de la grande corde est arrimé à la berge sur un petit piquet ou au pied d’un arbuste. Les hameçons auparavant peuvent être appâtés de divers leurres, cela peut aller du gros et long ver de terre, le lombric, une grosse limace, un petit vairon, voire de la tripe de poulet. On « tend » les cordes le soir et on les « relève » le matin avant le lever du jour. On dit que l’anguille dans le clair matin arrive toujours à se libérer.
Nos pêcheurs de l’ombre n’avaient jamais rencontré pareille aubaine. C’était une première pour le vétéran Charlot qui tutoyait la retraite, il y avait aussi Robert et Albert et ils avaient pour guide le jeune Jean-Louis qui ado aimait les cerises de son voisin. Ce fût lui qui eut une idée géniale, au lieu de couper la corde pour emporter l’anguille il ne trouva rien de mieux que de couper l’anguille lui laissant la tête attachée à l’hameçon. De mémoire de pêcheur on ne tend pas qu’une corde, mais plusieurs. Ce fut un jeu d’enfant de battre les environs pour de nouvelles découvertes. Ils ramassèrent et étêtèrent ainsi 28 anguilles!!!
On sut plus tard que l’arroseur arrosé n’était autre qu’un boucher de Lescar né et habitant au bord du Gave à Arbus et grand pêcheur devant l’Eternel. Chez lui le menu de la fête fut modifié mais il avait assez de réserves dans sa chambre froide pour que ses invités ne souffrent pas de ce contre temps. À Siros ce dimanche à midi les autochtones firent la fête avec ces anguilles épicées du sel de l’aventure nocturne et du bon tour joué au Boucher.
Cette pêche pose beaucoup de problèmes sur le Monde Animal, peut on être heureux comme un poisson dans l’eau? Il n’en est rien, le poisson doit galérer toute sa vie pour rester sur sa terre aquatique, il n’est même pas dans la galère, il est naufragé hors de la galère condamné à ramer indéfiniment. Mener une vie de chien, est-ce être malheureux comme on le sous entend? Le chien Sirosien contemporain n’a plus à aller dénicher des œufs dans les pondoirs des fermes, n’a plus à parlementer en frétillant de la queue pour ne pas se faire rabrouer par le gardien des lieux. Il a désormais ses croquettes aux goûts variés et sa boîte le jour de la saint Félix.
Ne pourrait on pas poser cette question à nos têtes blondes: Le bonheur des animaux est-il dans les expressions françaises? Oui cela pourrait être une bonne question de fil eau du Bac.
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Très belle plume ,ainsi que celle du récit des réfugiés de la guerre dans le village de Siros ; Jean devrait participer à un concours de nouvelles . merci pour ce récit, très palpitant ;