L’instit
TEXTE DE LOULOU MANDÈRE.
Ce cahier n’est pas un cahier, c’est un torchon!
De ces appréciations, je pourrais en citer des dizaines. Eh oui, l’élève qui méritait de telles remarques, c’était moi.
Ce n’était pas de ma faute, les grands voulaient m’envoyer à l’école et moi je ne voulais pas y aller. Pas belle l’école! On vous enseignait des tas de choses qui n’intéressaient personne, et surtout pas moi.

Dès le début, j’avais refusé cette contrainte. Ma grand-mère m’emmenait jusqu‘à l‘entrée, l’institutrice m’enfermait aussitôt dans la classe et moi, aussi vite, je sautais par la fenêtre, pourtant haute et rentrais à la maison avant ma grand-mère mais par un autre chemin. Parfois, c’était le chien d’Alexandre Pommé qui me forçait à y aller en aboyant sur mes talons. C’était un tout petit riquiqui de chien mais tellement hargneux et gueulard qu’il finissait par me faire peur.
Une fois, alors que je rentrais, comme d’habitude, par un autre chemin, je rencontrai l’institutrice des filles qui arrivait à bicyclette.
– Bonjour Loulou, que fais-tu là, tu rentres déjà de l’école?
– Bonjour Madame. Euh, j’ai mal au ventre alors on m’a permis de rentrer à la maison.
– Ah oui, je vois, mais je suis sûre qu’à présent tu vas déjà beaucoup mieux, ça se voit. Tu vas monter sur le porte-bagages de ma bicyclette et, tout gentiment, nous allons revenir ensemble à l’école.
L’épreuve n’était pas si terrible, c’était même plutôt agréable de rouler à bicyclette seulement voilà: je ne sais pas si elle le fit exprès – aujourd’hui je pense que oui – cette diable de femme, au lieu de suivre la route normale, me fit traverser la cour de l’école des filles ainsi juché sur le porte-bagages. Ma dignité, ce jour-là, en prit un sacré coup. Imaginez la honte d’être ainsi humilié devant des filles qui se moquaient de ma mésaventure. Des garçons, passe encore, mais des filles! De toute façon, j’avais repéré celles qui riaient le plus et je me promettais de le leur faire regretter.

Parfois, excédée par ma constance à refuser l‘école, ma grand-mère m’enfermait dans un box avec les deux mules de la maison. Margot et Marty. Marty était ma préférée et je crois qu’elle aussi m’aimait bien. L’évasion était simple: il suffisait de monter sur le dos de Marty pour sauter ensuite hors du box. Pour cela, Marty, qui avait tout compris, baissait la tête, alors, je m’accrochais à sa crinière et grimpais sur son dos. Quand j’y pense aujourd’hui, je réalise que c’était dangereux de m’enfermer avec ces bêtes pourtant pacifiques.
Les instituteurs ou institutrices changeaient sans cesse et il nous arrivait d’avoir deux maîtres différents durant la même année scolaire. Ceci n’était pas très bon pour l’enseignement normal de classes allant du cours enfantin jusqu’au cours supérieur sanctionné par le fameux certificat d’études primaires, véritable sésame pour entrer en apprentissage, pour les cours complémentaires ou, simplement, pour entrer dans la vie active. Remarquez, ce n’est pas le changement d’instituteur qui me préoccupait le plus. Celui-là ou un autre…
Je n’étais pourtant pas un cancre; j’étais même très régulier, toujours dernier, mais jamais loin des autres. On disait même de moi que j’étais gentil et un tantinet charmeur.

Et puis, à la rentrée de l’année mille neuf cent quarante-cinq vint un nouvel instituteur. Encore un! Il s’appelait monsieur Henri Payzan. Il était jeune et venait tous les matins à bicyclette depuis Lescar. Un joli vélo bleu qui me faisait envie. Ce nom, bien sûr, nous faisait rire, et je me souviens d’une leçon où il nous disait par exemple:
– Brave boulanger je te remercie…et il fallait répondre: de nous faire du pain.
– Brave boucher…de nous donner de la viande
– Brave meunier…
Il nous dicta ainsi une longue série jusqu’à ce qu’il crut bon d’ajouter, sans doute par malice:
– Brave paysan je te remercie… et moi d’ajouter: de nous faire l’école.
Une gifle, mais, me semble-t-il me souvenir, pas très appuyée, salua mon insolence. Je crois même qu’il sourit en me la donnant. Ce n’était méchant ni d’un côté ni de l’autre. Je commençais à avoir de la sympathie pour cet homme qui semblait s’intéresser à moi. Il s’y intéressait si bien qu’un soir, alors que nous sortions, bien en rang, comme l’exigeait la discipline, il me saisit par le bras et me dit:
– Ne pars pas si vite, il faut que nous parlions tous les deux.
Nous restâmes donc seuls et là, il commença à me demander si j’entendais bien, si j’y voyais bien, si j’étais heureux à la maison… Il commençait vraiment à m’agacer avec ces questions et je ne voyais pas pourquoi il m’avait retenu pour ça. Après tout, cela ne le regardait pas! Qu’on me fiche la paix que j’aimais tant!
Ensuite sa voix, très chaleureuse jusque là, devint plus grave; elle m’impressionna.
Puisque tout allait bien, question santé et ambiance à la maison, il me demanda si je n’avais pas honte. Honte d’être si ingrat envers mes grands-parents, avec mes oncles et ma tante que j’appelais Maman. Honte de la manière de les remercier de tout ce qu’ils faisaient pour moi qui n’étais pas leur fils mais un enfant recueilli afin que je ne finisse pas à l’Assistance Publique. Honte de la honte que je leur faisais en ne travaillant pas au moins aussi bien que mes camarades. Et la litanie continua ainsi durant un temps interminable. Je n’étais plus fier du tout et commençais à mesurer la portée de ses paroles. J’aurais promis n’importe quoi avec sincérité pourvu qu’il arrêtât de m’accabler de la sorte. Je me mis à pleurer silencieusement alors, il enfonça le clou comme pour donner le coup de grâce. Lui, l’instituteur laïque, me parla de ma mère que je n‘avais pas connue. De ma mère qui était au Ciel, qui me voyait et qui pleurait sans doute aussi de mon inconduite.
Il se tut un moment tandis que je continuais à pleurer à chaudes larmes, des larmes de honte, des larmes d‘amour, des larmes de repentir. Il reprit en me disant:
– Si tu es d’accord, nous allons nous serrer la main et ce geste sera un pacte d’honneur qui nous liera tous les deux. Je m’engage à t’aider autant que je le pourrai, parce que je sais que tu en vaux la peine, et toi, tu vas t’engager à travailler pour être dans les meilleurs sinon le premier.
Nous nous serrâmes longuement la main et je me souviens encore de la solennité de l’instant. Monsieur Payzan m’avait traité comme un homme, presque comme un égal à lui-même. Il ajouta:
– N’oublie jamais qu’un homme digne de ce nom, doit toujours tenir ses engagements. Plus tard, dans la vie, des hommes te feront confiance et tu devras toujours la leur rendre… Tu ne devras jamais les trahir, c’est une question d’honneur et de dignité.
Ouf, j’avais eu ma dose et je ressentais un curieux sentiment fait, à la fois, de peine, d’angoisse et de fierté. En tout cas, j’avais la ferme volonté de prendre de sérieuses résolutions.
Peut-être pour sceller notre « collaboration naissante », il me ramena à la maison sur sa bicyclette. C’était quand même bien plus glorieux que sur le vélo de l’institutrice. C’est toujours pareil et injuste: ce soir-là, nous ne rencontrâmes aucune fille. Dommage, c’eût été une belle revanche.
A la maison, personne ne s’était inquiété de mon retard, sans doute étaient-ils au courant de « l’entrevue. » Cet instituteur, avec qui je m’étais lié par une véritable amitié qu’il me rendait bien, ne resta hélas qu’un an. Il fut nommé à Saint-Castin et, jusqu’à mon certificat d’études, nous correspondîmes régulièrement. Il était très fier des progrès que j’avais accomplis car, depuis ce grand moment que nous eûmes ensemble, je devins, je le crois, un très bon élève.
Je me suis toujours souvenu de lui et son enseignement m’a toujours accompagné dans les étapes de ma vie:
L’engagement, le respect de la parole donnée…
Il est décédé il y a une dizaine d’années. Je l’ai appris par la presse et j’ai voulu absolument assister à ses obsèques. Au lieu de signer le registre de condoléances comme tout le monde, j’ai laissé un petit mot où je disais tout ce que je devais à cet Homme.
Quelques jours plus tard j’ai reçu un coup de téléphone de son fils qui me disait que sa mère avait été très touchée de mon attention et souhaitait me rencontrer. J’ai promis de le faire mais n’ai pas tenu parole. Peut-être que je lui ferai parvenir ce petit récit rédigé avec beaucoup de respect et beaucoup d‘émotion.
Bien plus qu’un « professeur des écoles » il fut un Instituteur de vocation et de devoir.
INSTITUTEUR, un des plus jolis mots de la langue française.
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tout Loulou est dans ces quelques lignes et particulièrement les dernières: engagement et respect de la parole donnée. ajoutons aussi « partage ».