Enfant de Choeur Retraité (1ère Partie)
TEXTE DE JEAN HOUNIEU.
Un jour au Bayle j’ai rencontré un enfant de chœur retraité. Cela n’est pas courant car la
fonction ã disparu et les jeunes générations ã la limite connaissent peut-être l’existence de chœurs d’enfants et les anciens des enfants sans cœur . Et mon retraité était tout fier de ne pas avoir été pris dans la vie courante pour un enfant de chœur . Il devait ã la faible démographie de Siros d’avoir eu très jeune son entrée dans ce monde discret et un peu mystérieux . Il était dans sa huitième année , il était un élève assidu au catéchisme , ni bon ni mauvais . Ces cours de catéchisme étaient donnés par le Curé le jeudi matin à neuf heures et le dimanche après midi une heure avant les vêpres . Les cours étaient bien suivis mais les élèves bien peu nombreux et sans l’apport de cinq ou six enfants d’Aussevielle qui venaient les suivre ã Siros , l’assistance aurait été bien réduite . En fin de séance un jeudi matin le Curé fit passer ã notre retraité et ã un garçon d’Aussevielle de deux ans plus âgé un essai . Le test consista pour les deux ã lire du latin dans un épais missel . Très vite les deux compères comprirent qu’en latin les mots se terminant par US se prononçaient OUSS et ceux se terminant par AE se disaient É . Et ils s’en retournèrent chez eux avec une feuille cartonnée de format A4 ( inconnu pour eux ã l’époque ) avec pour mission d’apprendre par cœur les deux premiers répons du cérémonial de la messe , ã réciter le lendemain aprés l’école pour le Sirosien et le dimanche matin aprés la messe d’Aussevielle pour l’autre éleve .
Le Sirosien remémorant ses souvenirs me dit : Les premiers répons étaient assez faciles à retenir mais le premier écueil fut le Confiteor . Le Confiteor est la traduction en latin du Je Confesse en Français et la tirade est de taille !! . Elle a quand même un avantage , elle est construite en deux parties qui sont identiques au mot prés . Séparées par une barrière : le c’est ma faute en français et le mea culpa en latin . Il suffisait d’apprendre la première partie pour savoir la seconde .
Nous étions en juillet au début des vacances et les apprentis enfants de chœur en gardant les vaches emportaient en gardant les vaches familiales leurs devoirs sacrés de vacances . Le Sirosien était tout fier de réciter déjà le Confiteor en latin alors qu’il ne savait pas encore le Je Confesse en français
Comme il ne pouvait passer tout son temps à rabâcher du latin il rendait visite ã ses voisins de champs en ne quittant pas de l’œil son troupeau . Il recherchait particulièrement la compagnie d’un vieux pâtre son voisin Jeantôt qui racontait des histoires savoureuses . Il avait fait la guerre de 14 – 18 , il avait été blessé et avait fait un séjour à l’hôpital militaire il racontait qu’arriva un grand blessé , un noir ,un immense Sénégalais qui se remit assez vite grâce à sa forte constitution . Mais détail intrigant, il se dégageait de son lit une odeur bizarre qui peu à peu devint nauséabonde qui gênait le voisinage .
Les infirmiers passèrent en revue ce lit malodorant et découvrirent sous le matelas un chapelet d’oreilles enfilées sur une ficelle , elles provenaient de soldats Allemands qu’ il avait envoyés de vie à trépas ã la baîonnette au cours de l’assaut de tranchées ennemies la veille du jour ou lui même fut gravement blessé . Son trophée fut confisqué il voulait le ramener en Afrique pour montrer son efficacité et son courage .
Jeantôt fut intrigué par mon carton latin , quand il sut que j’allais être enfant de chœur il se mît ã me réciter le Suscipiat ã haute et intelligible voix , je n’en crus pas mes oreilles . C’était un gros morceau de cinq lignes particulièrement indigestes sans nom de saints ou d’apôtre pour se repérer . Il me donna une recette que je mis en pratique pour n’amuser quand je fus bien rodé . Il me dit : tu commences par un Soucipiat tonitruant puis baissant la voix tu poursuis par un baragouinis et tu termines par un vibrant SOUHAIT -SANTÉ ( suae sanctae) . Je ne fus jamais repris pour cette incartade au texte sacré répétée moultes fois .
La démographie Sirosienne était cause de cette promotion rapide , en effet sur une dizaine d’années j’étais le seul garçon né . Trois ans après moi quatre garçons avaient vu le jour , un par trimestre . Six ans avant moi quatre autres garçons avaient enrichi les statistiques la même année .
Le plus jeune était le fils du Chantre et se languissait ã longueurs de semaines de voir arriver son enfant de chœur remplaçant , ses conscrits avaient déserté la fonction et lui de par ses origines ne pouvait pas en faire autant . C’est vrai qu’il était très rare de voir un enfant de chœur qui avait son certificat d’études continuer à être l’auxiliaire de l’officiant .
Dans cette période il était bien né trois filles mais inaptes par définition ã toute activité liturgique de prestige , elles chantaient aux cérémonies des cantiques jusqu’à leur mariage ensuite elles émigraient sous d’autres cieux ou regagnaient la rangée de chaises de leur famille dans la nef .
Il était bien né deux garçons avant moi dans cette période de no man’s land deux ou trois ans avant moi mais les deux avaient quelques difficultés de lecture en français . Ils connaissait bien les voyelles mais ils prononçaient la moitié des consonnes en E ou en Euh ils n’eurent jamais l’honneur d’attaquer les langues étrangères .
L’un André était le fils du scieur du Moulin il était chargé d’actionner l’ouverture et la fermeture de la pale qui commandait l’arrivée d’eau sur la turbine entraînant l’immense scie ã ruban . La manœuvre consistait à couper l’arrivée pendant que le scieur replaçait sur le tablier de la scie la grosse bille de l’arbre pour en déligner les quatre faces et le temps de la repositionner aprés chaque trait de scie . Il suffisait de tourner une manivelle dans un sens ou dans l’autre , ce n’était pas pénible , un jeu de poulies et de câbles démultipliait l’effort nécessaire et le mettant ã la portée de la force d’un enfant . L’eau ainsi économisée pendant ces temps morts participait aux économies d’énergie prônées longtemps aprés .
L’autre , François était le fils d’un maçon et dés qu’il eut la force de pousser une brouette il suivit son père sur les chantiers et avec André ã tous les deux ils ne totalisaient pas plus d’un jour d’école par semaine . L’institutrice avait bien essayé de faire comprendre aux parents que la scolarité régulière était importante pour leurs enfants, mais devant leur passivité elle avait baissé les bras . Des moyens de contrainte ? Supprimer les allocations ? Il n’y en avait pas
(ni allocations ni moyens ) .
La fonction d’enfant de chœur est très variée . La qualité première est la ponctualité , tous les matins il fallait aller » servir » la messe . Disposer sur l’autel le monumental livre d’ Évangile , remplir la burette d’eau , le remplissage de celle du vin était réservé au Curé . Le vin de messe était spécial il provenait d’un vigneron de la région , il était blanc , et devait être » pur » c’est à dire sans eau comme pouvait en contenir celui du commerce , sur ce point la religion en était déjà au bio .
Il fallait ensuite allumer les cierges placés sur l’autel hors de portée de bras et de jambes juvéniles , pour ce faire une mèche cirée enroulée autour d’un long bambou , l’ensemble dénommé queue de rat permettait de les atteindre facilement . Pour les éteindre après la cérémonie on se servait d’un engin spécifique l’éteignoir, sorte d’entonnoir inversé ã la canule aplatie fixé sur un autre bambou . Il est une règle : pour éteindre un cierge à portée défense de l’éteindre en soufflant , la cire liquide pourrait être projetée sur les linges liturgiques ,les statues ou les images pieuses .
Quand le prêtre revêtu de ses habits liturgiques sortait de la sacristie l’enfant de chœur se précipitait derrière l’autel il tirait la corde qui traversait le plafond et rejoignait la cloche en bout du clocher , sonnait les trois coups pour annoncer aux ouailles du village le début de la messe .
Pour les vêpres il fallait allumer le charbon de l’encensoir , l’encensoir est un vase métallique suspendu au bout de trois chaînettes,coiffé d’un chapeau orné de nombreux trous ouvragés par ou s’échappe la fumée de l’encens posé par le prêtre avec une petite cuillère sur un charbon ardent .le charbon rond avait le diamètre d’une pièce de cinquante centimes et une épaisseur d’un centimètre .comme nous étions en temps de guerre et que l’on manquait de tout cette pastille de charbon était partagée en deux pour les grandes cérémonies et en quatre pour les vêpres ordinaires .
C’est derrière l’autel que se faisait l’allumage , un reste de cierge collé à la cire sur un mauvais guéridon était allumé par une allumette au phosphore qui avait deux avantages , pour l’enflammer pas besoin de frottoir il suffisait de la passer sur une partie rugueuse et la plus efficace était le bois de la semelle de la galoche , autre avantage et non des moindres , la boîte était moins chère que celle des allumettes dites de sécurité ( c’était marqué sur la boîte ) et ne s’enflammaient que sur un frottoir adéquat .
Il fallait tenir le bout de charbon entre les doigts au-dessus de la flamme , l’astuce pour éviter de se brûler consistait à les enduire de salive , et dés qu’un point rouge apparaissait sur le noir du charbon c’est en soufflant dessus que peu à peu le rouge gagnait du terrain et quand il approchait des doigts on le plaçait bien sagement dans l’encensoir en espérant que la combustion se poursuivre . Quelle honte s’il s’était éteint !!! .
Après une ou deux années de bons et loyaux services je fus secondé par deux autre garçons . Un parisien Jean-Marie qui a son arrivée ne savait pas ce que messe et religion voulaient dire , et aussi Joseph un fils de réfugiés espagnols . Eux aussi apprirent que les US se prononçaient Ouss et les AE en É .
Pour moi le bénéfice fut immédiat , je ne servis la messe du matin qu’une semaine sur trois , mais tous les dimanches et pour les fêtes et cérémonies nous opérions ã trois . C’était le cas pour les Rogations , c’était au printemps juste avant l’Ascension et pendant trois jours consécutifs tout le village après la messe célébrée à 7 heures au lieu de 8 , se rendait en procession aux quatre coins de la paroisse matérialisés par une croix . La plus éloignée se trouvait au bout du Chemin de Capbat , une autre aprés le pont de Lacampagnote ensuite au début du Cami de Catsus ,au bout de la Çarrerasse sur la maison Clos et la dernière sur la grange en bout du Chemin du Figuier .
Les processions se faisaient avec un rite immuable , en tête l’enfant de chœur portait une croix métallique fixée au sommet d’une rampe en bois de deux mètre environ , il était investi d’une grande responsabilité , c’est lui qui réglait la vitesse du déplacement et imbu de sa personne se prenait pour le Maître de Cérémonie . Plus tard quand il lût la fable de La Fontaine : l’Ane portant des reliques , il fit le parallèle entre lui et l’âne et la comparaison ne fut pas ã son avantage . Derrière la croix ,les hommes sur deux colonnes précédaient le Curé et le Chantre , les deux autres enfants de chœur sur leurs talons et suivaient en suite les filles et les femmes .
Au cours de cette procession qui demandait au Ciel de bonnes récoltes et la protection des animaux et des hommes toute une litanie de Saints était invoquée . Ce n’était pas des Saints français comme ceux du calendrier des PTT mais une multitude de Saints Latins aux noms barbares : PEtré, Matthaee , Thadalaee , Barnaba , Marce , Vicenti , Cosma, Dominane, Gervasi etProtasi , Hieronyme, Caecilia,( qui n’a rien à voir avec une remplaçante chanteuse à la guitare ) . Le Chantre et le Curé sur un air monocorde invoquaient le Saint par son nom et la foule des fidèles sur le même ton reprenait pour chacun un Ora Pronobis ( priez pour nous ) . Ceci se passait sur les chemins étroits bordés de haies qui avaient été taillées pour l’occasion et j’ai le souvenir des toiles d’araignées toutes perlées de gouttes de rosée qui les tapissaient sur tout le parcours .
Tous les troupeaux étaient restés ã l’étable de même que les quelques » têtes brûlées » qui avaient boudé la cérémonie . Les croix , buts de la sortie étaient revêtues de fleurs printanières le Curé s’en approchait se saisissait du goupillon le plongeait dans le seau d’eau bénite que lui tendait un autre enfant de chœur , il aspergeait dans les quatre directions et le retour à l’église se faisait en invoquant sans fin ces Saints inconnus …
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