La Libération
TEXTE DE LOULOU MANDÈRE.
Nous voici au 70ème anniversaire de la victoire de la guerre 39/45. Je suis, et ce n’est pas un privilège, un des rares à pouvoir encore parler de cette époque. Je vous livre donc ce petit récit n’engageant que moi-même.
Août 2008
Je n’avais que dix ans et pourtant je m‘en souviens avec une précision extraordinaire et peut-être ai-je surtout en mémoire les conversations des grand que nous écoutions sans attirer leur attention.
Dans cette période troublée, les enfants se racontaient des histoires sur le débarquement, sur les américains dont nous regrettions qu’ils ne l’aient pas fait sur la côte basque ou dans les Landes plutôt que dans la lointaine Normandie. Nous aurions été aux premières loges.
Nous rêvions de combats victorieux, de chars d’assaut et de forteresses volantes. Avec des bouts de bois ou des bidons qui, dans notre imagination, devenaient des bateaux de guerre, nous refaisions le débarquement dans les trous d’eau de la Juscle. Le bombardement était assuré par le lancer de cailloux. Seul point de discorde et qui aurait pu tourner à la vraie bataille: tout le monde voulait tenir le rôle des Américains et personne celui des Allemands.
Ce fut une période de grande transition après laquelle rien ne fut plus jamais comme avant.
Tout le monde parlait de la fin des privations, la fin des tickets d’alimentation, le retour à l’abondance, le pain blanc, la fin du rationnement du tabac, la liberté de circuler, la liberté tout court, comme avant la guerre.
Les anciens parlaient d’avant-guerre comme d’un temps merveilleux dans un pays de cocagne. Il n’y avait sans doute de merveilleux de cette période que les vingt ans qu’ils n’avaient plus.
L’après-guerre fut le départ des grandes avancées sociales.
Le général de Gaulle accéda au pouvoir dans un gouvernement formé, intelligemment, d’une coalition des diverses sensibilités politiques de l’époque.
Plus que l’homme du dix huit juin, il fut je crois celui qui, par son habileté à intégrer les communistes dans son gouvernement, sauva l’intégrité de notre pays.
Nous avons vu, par ailleurs dans le monde, le fiasco des régimes communistes.
Pourtant c’est, je crois, aux communistes que nous devons les grands progrès sociaux de l’après guerre.
Ils représentaient, à eux seuls, plus du tiers de la population, le premier parti de France. Sa pression sur le gouvernement en place fit que l’on devançait leurs revendications afin de ne pas leur en laisser le bénéfice. Il ne fallait surtout pas leur donner le beau rôle qui aurait pu leur faire des adeptes.
Cela, je l’ai compris plus tard.
Plus tard, également, lors de mon entrée, très jeune, dans le monde du travail, j’ai connu des syndicalistes communistes. Ils étaient honnêtes, lucides, courageux. C’était le syndicalisme d’avant mai soixante huit, d’avant les accords de Grenelle…
La libération, pour moi, c’est une période trouble à laquelle mon regard d’enfant ne comprenait pas grand-chose. Beaucoup de haine et de méchanceté gratuite de la part d’hommes qui s’arrogeaient des droits qu’ils n’avaient point gagnés.
Je me souviens, ce devait être vers le mois d’août mille neuf cent quarante quatre, avoir vu des convois de camions allemands qui venaient sans doute d’Oloron ou de Monein et qui repartaient vers Pau. Après leur passage, des drapeaux apparaissaient aux fenêtres. Pour eux, c’était la débâcle et ils n’avaient plus la belle prestance et l’arrogance des premiers jours.
Malgré la joie et les espoirs que ces départs suscitaient, on nous disait de ne pas nous montrer au bord de la route pour les voir passer et, surtout, de ne pas les narguer car leur nervosité et leur humiliation de vaincus pouvait faire craindre le pire.
Dans certains secteurs boisés, des arbres avaient été coupés en travers de la route pour freiner leur retraite. Je pense que ces provocations de quelques bravaches étaient totalement inefficaces et même dangereuses pour la population des villages traversés. Certains de ces pseudo-résistants abattirent des arbres sur la route entre Oloron et Monein, loin de chez eux mais à proximité de fermes exposant ainsi la population environnante aux plus cruelles représailles.
L’Histoire a, malheureusement, par la suite, montré les réactions dramatiques des troupes en retraite.
La libération fut, hélas, suivie d’une épuration aveugle, cruelle, injuste et partisane.
Le maire du village, considéré comme non républicain, fut destitué par le comité républicain de sauvegarde et remplacé d’autorité par un militant communiste.
Cet ancien maire, qualifié de non républicain, fut envoyé au camp d’Idron ou d’Uzein, je ne sais plus, pour déterrer des cadavres d’un charnier de fusillés.
Bien fait, c’est ainsi que l’on traite ceux qui n’ont pas fait leur devoir!
La vérité est qu’il fut repéré par des officiels honnêtes qui reconnurent en lui l’homme qui avait, malgré tous les risques encourus, hébergé des juifs cachés dans son moulin à l‘écart du village. Il fut donc libéré sur le champ avec excuses, respect et honneurs.
Les élections qui intervinrent quelques mois plus tard permirent à la population de remettre les choses à leur place en redonnant sa confiance au maire injustement déchu.
La libération, c’est aussi, alors que j’étais en vacances quelques jours chez mon oncle à Lagor, ces femmes que l’on avait trainées jusqu’à la place de la gendarmerie et auxquelles on avait tondu les cheveux devant la population hilare, au prétexte qu’elles auraient été très très gentilles avec les Allemands.
Pour la populace, il est toujours plus facile de hurler avec les loups.
« La foule sans tête était à la fête » nous dit la chanson de Guy Béart.
Vrai ou pas, je n’en sais rien, mais, bien que nous fussions repoussés à l’écart par quelques adultes plus intelligents que les autres, ces images, insoutenables pour un enfant de dix ans, de femmes humiliées, à moitié dénudées, sont encore en ma mémoire et ont eu une influence certaine sur ma vie d’adulte.
Ils furent nombreux, dans le village, à se déclarer résistants dès lors que les Allemands n’étaient plus là. Ils arboraient fièrement le brassard des FFI (forces françaises de l’intérieur) . Je ne sais quand est-ce qu’ils étaient au maquis car on ne les avait jamais vus absents de chez eux.
Peut-être pour cacher leur propre inconduite, ils étaient les premiers et les plus virulents à dénoncer n’importe qui pour n’importe quoi.
Certes, et Dieu merci, il y eut des maquisards, des vrais, mais, ceux-là, étaient beaucoup plus discrets et même, pour certains, on ne sut que beaucoup plus tard le travail qu’ils avaient fait. Ces vrais résistants ne paradaient pas sur les places publiques ou à bord de « tractions-avant » avec plein de drapeaux aux portières. Ceux-là continuèrent le combat jusqu’à bouter l’Allemand hors de notre pays. On les appelait, très injustement, des terroristes. La propagande vichyssoise faisait bien son travail de désinformation.
Huit mai mille neuf cent quarante cinq. C’est la liesse générale, les cloches sonnent à toute volée. Certains chantent la Marseillaise, d’autres l’Internationale. Des jeunes filles vêtues d’habits aux couleurs de la France portent fièrement des cocardes tricolores. Même leurs vélos sont aux couleurs de la Nation.
Mon oncle Pierre, que je considère comme mon père spirituel, était, avec d’autres hommes, monté jusqu’au clocher pour sonner un carillon. Il fut rejoint par l’instituteur, militant communiste, qui lui contestait le droit de sonner sous prétexte qu’il était catalogué comme non républicain donc, partie non prenante de la libération.
Etaient considérés comme non républicains tous ceux qui n’étaient pas communistes mais, à l’inverse, je crois qu‘étaient considérés comme communistes tous ceux qui étaient de gauche.
Il y avait surtout de l’intolérance de part et d’autre.
Pour toute réponse, mon oncle lui envoya deux bourrades qui lui firent descendre les escaliers plus tôt que prévu et à cadence rapide et incontrôlée.
J’ai un très mauvais souvenir de cet instituteur partisan et indigne.
Pour se venger il me punit presque tous les soirs en me condamnant à rester après la classe pour faire des lignes.
Je me souviens aussi de la joie des gens retrouvant la presse libre: l’Eclair des Pyrénées prenant la suite du Patriote de droite, la IVème République d’inspiration socialiste et l’Etincelle, organe du parti communiste.
Elle est loin, très loin cette époque mais je crois encore entendre les flons flons du bal du premier quatorze juillet d’après l’armistice. Le vin, que le garde-champêtre servait au « barricot », coula à flots.
Le lendemain, il y avait encore des corps ivres allongés sous le grand chêne que l’on disait planté en mille sept cent quatre vingt neuf.
Le chêne de la LIBERTÉ.
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