Enfant de Choeur Retraité (2ème partie)

TEXTE DE JEAN HOUNIEU

Les enfants de chœur étant en fonction avaient un statut de fonctionnaire . Ils étaient payés tous les dimanches , celui qui avait terminé sa semaine touchait le double de centimes que les deux autres . Mais la rare ressource de revenu conséquent était la messe des mariages , toujours un samedi matin . Les trois enfants de chœur demandaient l’autorisation d’absence ã l’ institutrice et il avaient le privilège ã la sortie de la messe de se poster avec une écuelle en aluminium ã la porte de l’église , les nouveaux mariés, les parents et les invités mettaient presque tous une pièce . C’est le Curé qui ensuite faisait le partage sans prélever la dîme de sinistre mémoire . Au lieu de compter les pièces et de faire une division par trois comme cela se faisait dans les problème journaliers d’arithmétique il avait une autre technique , il prenait les pièces de même valeur qu’il distribuait en trois piles comme le faisaient les joueurs de cartes . Il commençait par les rares pièces de cuivre de dix centimes, puis les cinq et les deux centimes les plus nombreuses pour finir . Les boutons de culottes n’ont jamais ici ã Siros fait office de pièces de monnaie ni le dimanche ni les jours de mariage . Hélas nous étions en temps de guerre et nous étions condamnés à thésauriser , il n’y avait rien à acheter plus de  » cagalites  » ces crottes de rats , pastilles Florian ,pas de bonbon , aucun épicier ne faisait plus la tournée et les chewing-gums n’étaient connus que des Américains .

L’un des temps forts pour un enfant de chœur c’était quand avec son seau d’eau bénite il accompagnait le Curé qui allait  » porter  » l’Extreme Onction ã quelque malade au seuil de la mort
Nous étions attendus, le malade était dans son lit, la porte de la chambre ouverte , un cierge était allumé sur la table de chevet . Le Curé demandait aux présents de sortir ( famille , voisins et moi compris ) , de libérer les lieux , il devait d’abord confesser le mourant et le secret de la confession en ce moment tragique ne pouvait être partagé qu’entre le pécheur et le prêtre . Il allait peut être se libérer d’un péché particulièrement grave, caché jusqu’alors mais dont l’aveu lui ouvrait la porte de l’Eternité parmi les Bienheureux .

La confession terminée et l’absolution rendue nous rentrions tous dans la chambre répondions par des Amen aux diverses prières alors que le Ministre du Culte traçait avec son pouce oint de saintes huiles des croix par où les péchés avaient pu entrer . Les onctions terminées nous repartions vers l’église . Si le Curé estimait que la fin du malade était imminente il avertissait Anna la sonneuse qui se rendait dans le clocher pour sonner  » l’agonie  » , un seul coup toutes les dix secondes environ , la sonnerie pouvait durer des heures , jusqu’à qu’un membre de la famille vienne lui dire que le défunt avait fait le grand pas .

Si la fin n’était pas imminente le Curé revenait le lendemain pour suivre l’évolution et tant mieux si l’on ne devait pas mettre en branle la sonnerie qui avait pour but d’avertir les paroissiens de la perte probable d’un des leurs et les inviter à la prière pour soutenir le mourant . De mémoire de Sirosien personne n’a jamais survécu à la sonnerie de  » agonie » mais depuis très longtemps elle est tombée en désuétude .

Jusqu’à l’enterrement aprés les angelus du matin de midi et du soir le glas était sonné , une volée de quatre coups pour un homme , trois coups pour une femme et deux pour un enfant . Invitait à partager le deuil avec la famille .

à ce point du récit je ne puis résister au plaisir d’un trait d’humour dans cette phase toute noire . Mon ancien dans la confrérie des enfants de chœur Albert avait un oncle du même nom ã Labastide -Cezeracq , le frère de sa mère qui était venue se marier ã Siros . Cet oncle était très vieux , il est mort dans sa centième années . Il reçut un aprés midi la visite de son Curé et de l’enfant de chœur venus pour le cérémonial de l’extrême -onction .

Sa voisine connaissant l’état critique du malade confirmé par le passage du Curé dit ã son mari : Albert est au plus mal il faudrait lui rendre une dernière visite . C’était une corvée point agréable mais le devoir de voisinage l’imposait et mari et femme qui avaient la quarantaine se rendirent chez le malade . Il n’était pas reluisant mais son œil brillait . La conversation s’engagea, ils parlèrent de la pluie et du beau temps du passage des palombes , des cèpes ,du ministère qui venait de démissionner . Les sujets ã commenter se trouvant pratiquement épuisés un ange passa et un silence pesant se posa dans la chambre . Il fallait réagir et dire quelque chose , le voisin dit tout haut cette remarque :- Je voudrai bien arriver à votre âge !!! . Et le mourant sortant son nez de dessous les couvertures lui répliqua :- Et moi je voudrai t’y voir !!!! ..

Le mourant obtint un sursis et ne fit le grand voyage que deux ans aprés non sans avoir subi trois autres extrêmes- onctions .

En mai les trois enfants de chœur étaient mobilisés tous les soirs pour le  » mois de Marie  » ,à la tombée d la nuit une sonnerie de cloches annonçait dans le quart d’heure qui suivait le commencement de la cérémonie . Ã l’autel de la Vierge qui est celui de droite dans l’église , se réunissait pas mal de monde : tous les enfants , toutes les jeunes filles , quelques femmes mais pas d’homme pour réciter cinq dizaines d’Ave Maria ,chanter deux cantiques et recevoir une bénédiction .

L’enfant de chœur de semaine devait allumer les cierges , allumer le charbon de l’encensoir et poser sur l’autel le seau d’eau bénite . Pour agrémenter la cérémonie il y avait l’intermède des hannetons . Ã cette heure crépusculaire les hannetons invisibles jusque là sortaient de leur refuge diurne , arbres ? haies ?trous dans le sol ? . Il y en avait des quantités , c’était un jeu d’enfant de les cueillir sur les haies ou les branches basses des arbustes .

Le but de la capture était de les amener au » mois de Marie  » dans l’église . Mais un hanneton évoluant parmi les cierges allumés ne donne qu’un spectacle banal et on aurait pu croire qu’il était rentré de son plein gré . Pour que personne ne s’y méprenne il fallait le personnaliser et pour cela rien de plus simple que de lui attacher un fil ã la patte , un fil blanc ou en couleur plus visible qu’un fil noir dans la pénombre et d’une certaine longueur cinquante centimètres étant la dimension idéale .

Pas facile de dégager une patte de hanneton , il en a beaucoup , pas facile de nouer le fil l’amputation se risque à tout moment heureusement qu’il reste des pattes de rechange . Impossible de le mettre ainsi harnaché dans une boîte d’allumettes vide car il gigote trop . Le plus simple est de le tenir prisonnier dans la main fermée et dans l’église de le lancer en l’air car avec son fil il ne peut pas décoller . Le Curé faisait celui qui ne voyait rien et devant le peu d’intérêt qu’il portait à la chose les bonnes volontés se trouvaient découragées et le mois de Marie se terminait souvent sans le lâcher quotidien de hanneton .

Jeantot que je retrouvais presque tous les jours en gardant les vaches , un aprés midi de mai m’avait demandé si les hannetons allaient toujours au mois de Marie ,je croyais jusque là que notre génération avait inventé ce jeu je fus très déçu de savoir qu’il l’avait pratiqué bien avant moi.

Un jour il me posa ã brûle pourpoint une question insolite : as-tu entendu ce que se disent les deux anges de l’autel ? . Je n’avais rien entendu jusque là mais me promis de tendre l’oreille ã la prochaine messe . L’autel qui a été supprimé vers les années 1960 était en marbre blanc et flanqué sur ses bords de deux anges de taille humaine avec deux ailes légèrement déployées dans le dos et les mains élevées au-dessus de la tête en une posture de prière que confirmait leur bouche entrouverte .
Cet autel avait été acheté par la Commune aprés une décision du Conseil Municipal et le Maire s’était rendu chez le sculpteur fabricant ã Bagneres de Bigorre et avait passé commande avec une livraison différée ã la fin des travaux en cours de la construction de l’église . Ã la réunion qui suivit son retour le Maire rendit compte de son achat mais se fit taper sur les doigts car aucun papier n’avait été signé confirmant la composition de l’ouvrage ,le prix et le délai de livraison ,tout avait été convenu oralement . Au terme du temps convenu , l’autel fut livré au prix annoncé et il semble même que la Commune eut quelques difficultés pour assurer le règlement ã la livraison .

À la première messe qui suivit cette conversation avec Jeantôt j’étais tout ouïes , même ã l’Elévation qui est le moment le plus solennel je n’entendais rien . Tout penaud je dus l’avouer ã mon Initiateur qui partit d’un éclat de rire et me dit – : l’ange de gauche qui a les mains le moins levées dit en patois – Mon Dieu que ce Curé est béte. !!. Et l’autre lui répond Merci mon Dieu il pourrait être pire !!! . Je ne goûtais pas trop l’humour de ces réparties puisque je m’étais fait avoir En revanche quand j’ai rencontré plus tard des anges dans cette posture classique je les entendais dire – : mon Dieu qu’il est béte ce pauvre pèlerin !! . Et l’autre approuvait – : heureusement qu’il est plus béte que méchant – !!! .

J’écoutais avec attention les mémoires de l’ancien enfant de chœur en allant et venant sous les platanes de la Place . Il voulait me parler de Saint Antoine et nous approchames de la porte de l’église et me fit remarquer l’inscription en rouge sur un bandeau fixé sur un pilier de pierre de la façade , elle portait une date : 1 février 1952 . C’est me dit-il le niveau atteint par le Gave lors de la crue de 1952 et la fin de la République !!! . Tout de suite je me posai une question , j’avais écouté pendant plusieurs heures son récit, mon interlocuteur perdait-il la tête et par le fait même son récit était-il exact ? . La République cinquième du nom était peut-être bancale mais toujours en vie Pour le tester je ne voyais qu’un moyen qui lui aurait paru naturel : c’était de lui faire réciter le fameux Suscipiat pour savoir si son esprit ne s’était pas évanoui comme les volutes d’encens sorties de l’encensoir .

. Je n’eus pas besoin de ce test car il enchaîna aussitôt : le soir du 14 juillet on fêtait la République . Des bancs avaient été récupérés au café Juliat et chez les voisins du quartier et disposés devant la porte d’entrée commune de la Mairie et de l’Ecole , des chaises etaient descendues de la Mairie sur lesquelles était posés un barricot de vin blanc , une brassée de miches de pain de deux kilos , un régiment de verres et sur la dernière un gros fromage du pays entier

Presque chaque année le 14juillet tombait en pleine période ´des battages et la plus part des  » battusés  » ,les hommes qui avaient participé à une lourde journée de labeur etaient tous là !!! .la plupart encore en tenue de travail mais ayant enlevé toutes les traces de poussière et de sueur par des ablutions sommaires ã la pompe de la dernière ferme où ils avaient travaillé .

Tout le monde était tacitement invité mais il y avait quelques barrières invisibles , il fallait avoir plus de 21 ans donc être majeur et votant potentiel . Aucun de ceux qui n’avaient pas atteint cet âge fatidique n’aurait osé s’y présenter . Les femmes qui elles votaient depuis 1946 etaient peut-être invitées mais aucune n’a jamais paru à la République .

Cette fête toute simple débutait à la tombée de la nuit , chacun avec son couteau de poche de marque le Besset avec son manche en corne se taillait une tranche de pain et un bon morceau de fromage , remplissait un verre au tonnelet de vin blanc et beaucoup y revenaient souvent . C’était aussi une bonne occasion de refaire le Monde .

Cette festivité républicaine remontait dans sa forme inchangée dans la nuits des temps et quelque républicain chauvin la faisait remonter à Henry 4 . Un convive était particulièrement attendu , c’était le Curé , il était le premier voisin mais il n’arrivait que quand tout le monde était là . Il serrait des mains , se faisait prêter un couteau , taillait son pain et son fromage , levait son verre pour trinquer à la ronde . On entendait quelquefois des remarques désobligeantes de quelque républicain laiquart , mangeur de curés , du style : ce vin monsieur le Curé est meilleur que celui de votre messe, ou buvez, buvez il n’est pas encore minuit !! .

Sa tartine avalée , son verre vidé le Curé ne moisissait pas sur place il rentrait au presbytère prétextant une ultime lecture de son bréviaire . Oui la République eut une fin !!!. L’inondation de 52 avait provoqué pas mal de dégâts mais surtout une digue de terre fut construite à Eslayou pour empêcher le débordement en amont de Siros . Le devis de cette digue était d’un montant élevé tout ã la charge de la Commune . Le premier emprunt communal fut souscrit pour faire face à cette dépense , les impôts locaux furent triplés . Devant ses charges effarantes le Conseil Municipal dans sa grande sagesse supprima la République le 14 juillet 1952 .

Ce n’est que vers les années 70 que le Comité des Fêtes nouvellement créé reféta la commémoration par un bal gratuit et un timide feu d’artifice . Depuis on allait au bal ou au feu d’artifice mais on n’allait plus ã la République !!! .

L’église était encore ouverte et nous entrames ã la rencontre de Saint Antoine . Il avait disparu en même temps que les anges de l’autel et ses collègue Saint Michel , Jeanne d’arc , Sainte Thérèse ainsi que la chaire suspendue au premier pilier . Il me montra l’emplacement qu’occupait Saint Antoine sur le premier pilier aprés l’escalier menant à la tribune .

La quête du dimanche était faite par l’enfant de chœur qui terminait sa semaine . Il avait le privilège de monter à la tribune qui pour lui était le saint du saint car interdit aux enfants aux filles et aux femmes , y officiait le Chantre et les plus vieux paroissiens y piquaient un sommeil pendant les sermons toujours trop longs .

Comme les quatre enfants qui allait remplacer le trio encore en activité ,notre futur retraité leur annonça en grand secret au cours d’une récréation qu’un miracle s’était produit dans l’église : les cheveux avaient poussé sur la tête de Saint Antoine . Le Saint était revêtu d’une robe de bure comme un moine , de couleur chocolat , sa taille était serrée par une grosse corde et il était pieds nus dans des spartiates tout aussi monacales . Son visage, ses mains ,ses pieds etaient roses bonbon , il avait une couronne de cheveux au-dessus des oreilles de trois ou quatre centimètres en relief presque de la même couleur que sa robe .

Saint Antoine est un saint bien sympathique si vous l’implorez il vous fait retrouver ce que vous avez perdu , il en a fait retrouver des choses égarées ‘ ,des clefs, des factures, un dé , un peigne , un dentier , le tube d’aspirine, un tourne vis , j’en passe et des meilleurs . Mais il arrive aussi que Saint Antoine s’il se trouve au chômage prend un malin plaisir à déplacer ou cacher quelque objet pour vous jouer une niche . Dans ce cas ce n’est pas une prière qu’il faut lui adresser mais un ordre sec – :Saint Antoine de Padoue grand voleur, grand filou rendez moi ce qui n’est pas ã vous !!!! . Et très souvent il obéit , et vous retrouvez votre bien .

De la tribune on avait une vue plongeante sur le saint et effectivement sur le dessus du crâne ã l’intérieur de la couronne un duvet gris s’était formé , ã s’y méprendre on pouvait le confondre avec des cheveux poivre et sel . Ã la sortie de l’école je retiens les quatre apprentis , attendant que le reste de la classe se disperse et je les fis monter à la tribune . Effectivement ils constatèrent très sérieusement que les cheveux avaient poussé et apprirent au Curé la Bonne Nouvelle . Celui ci voulut se rendre compte de visu du phénomène et expliqua aux apprentis enfants de chœur que ce n’était pas des cheveux mais de la poussière !! .

Le dimanche suivant en faisant la quête ã la tribune je jetai un regard sur la tête de Saint Antoine et le sommet de son crâne était aussi rose que ses joues . L’avait on rasé ou simplement débarbouillé ? . Miracle ou Mystère ??? .

Le Curé profita de l’incident que j’avais provoqué pour me signifier ma mise à la retraite immédiate sans indemnité d’aucune sorte et sans autre préavis mais avec quand même un sermon sous forme de savon dont la morale était – : on ne joue pas avec le Sacré . Je retins bien la leçon et ce n’est que ce soir pendant notre entretien que j’ai rejoué irrévérencieusement avec mes souvenirs religieux.

Pardon Saint Antoine.